@ardeinv
adrien.vescovi@gmail.com

Biographie

Adrien Vescovi vit et travaille à Marseille depuis 2017 après une longue pratique installée dans les montagnes de Haute-Savoie. L’artiste réinvestit avec des enjeux contemporains la question de la toile libre et d’une peinture pensée à une échelle architecturale et naturelle. L’importance du contexte dans lequel l’artiste vient installer ses oeuvres est pour lui un facteur d’étude incontournable. Adrien compose des temporalités, assemble des couleurs travaillées selon différents processus alchimique, à partir de l’air (rayons du soleil et de la lune), la terre (ocres et végétaux) et le feu (cuissons, infusions). Sa manière de coudre est une façon de peindre. Le hasard est son allié. 

Né en 1981 et diplômé de l’École supérieure d’art de l’agglomération d’Annecy, son travail a été présenté aux Pays-Bas, en Belgique, au Danemark, au Mexique et très bientôt en Espagne, pour sa première exposition personnelle avec la galerie Albarran-Bourdais.

Cette année son travail sera visible pour d’autres expositions personnelles, en septembre au Casino du Luxembourg, au bookstore Yvon Lambert à Paris ou encore dans les rues de Gand en Belgique pour un projet avec 019. Et il présente actuellement une importante installation visible au SMAK de Gand pour l’exposition collective Splendid Isolation.
En 2021, il participe au 22 eme prix de la Fondation Pernod Ricard avec le projet Bonaventure signé par Lilou Vidal. Son travail a aussi bénéficié d’une première exposition personnelle en centre d’art contemporain Le Grand Café de Saint Nazaire.

En 2020, malgré la crise sanitaire, une importante installation a été montré lors de l’exposition Sur pierres brûlantes avec Triangle France – Astérides à la Friche Belle de Mai à Marseille lors de Manifesta 13, première version du projet Soleil Blanc, c’est un récit qu’il développe depuis d’exposition en exposition. En 2019 son travail a été présenté à la Galerie des Ponchettes avec le MAMAC de Nice, à la Villa Noailles pour le Festival international de la mode et accessoire ainsi qu’au Palais de Tokyo pour l’exposition Futur, ancien, fugitif, à la Vieille Charité à Marseille et au Musée Régional d’Art Contemporain Occitanie à Sérignan. Ses œuvres sont notamment dans les collections du Centre National des Arts Plastiques, du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice, du Musée des Beaux-Arts de Nantes, du Frac Provence Alpes Côtes d’Azur et du Fond Communal d’Art Contemporain de la ville de Marseille.

CV

2000 – 2006 Ecole supérieure d’art de l’agglomération d’Annecy (DNSEP)

*En 2022

Solo show
Librairie Yvon Lambert, Paris / FR
Casino Luxembourg, Forum d’art contemporain, Luxembourg / LUX
Galeria Albarran-Bourdais, Madrid / ES

Group show
Splendid Isolation, SMAK, Ghent / BE
Fotokino, Marseille, FR
Art Beat Gallery, Tbilissi / GEO
Art in public places, 019, Ghent / BE

*Expositions personnelles

2021 Soleil Blanc, Centre d’art contemporain Le Grand Café, Saint-Nazaire / FR
2020 Slow Down Abstractions, Studio Fotokino, Marseille / FR
2019 Mnemosyne, Galerie des Ponchettes, MAMAC, Nice / FR
2019 mens momentanea, 7 Clous, Marseille / FR
2017 For the memory of a life time, ChezNeon, Lyon / FR
2017 Mnemonics, Galerie Ceysson Benetiere, Saint-Etienne / FR
2017 Résidence et exposition, Le Cyclop, Milly-la Forêt / FR
2016 Turn off the lights, Casa de Francia, Institut Français d’Amériques Latines, Mexico / MX
2015 Amnesia, Tripode, Rezé / FR
2015 3XL – DSCN1989, Nosbaum Reding Project / LUX
2014 Sugar and spice, Galerie TORRI, Paris / FR
2013 Afterwards, Mosquito Coast Factory, Campbon / FR
2013 Brain Freeze, Glassbox, Paris / FR

*Expositions collectives et autres mediums

2021 Bonaventure, 22nd Prize Pernod Ricard, Fondation Pernod Ricard, Paris / FR
2021 Bella vista, Centre d’art contemporain, Saint-Nazaire / FR
2020 Sur pierres brûlantes, Triangle France – Astérides / Ateliers de la Ville de Marseille, Friche La Belle de Mai, Marseille / FR
2020 Crystal Clear, Pera Museum, Istanbul / TUK
2020 Your Friends and Neighbors, High Art Gallery, Paris / FR
2019 Par hasard, Centre de la Vieille Charité & La friche Belle de Mai, Marseille / FR
2019 Futur, ancien, fugitif , Palais de Tokyo, Paris / FR
2019 La mesure du monde, MRAC, Sérignan / FR
2019 Festival international de mode de Hyères, Villa Noaille, Hyères / FR
2019 Viridarium Chymicum, San Sebastiano da Po, IT (residency)
2018 Accrochage dans la collection, Musée d’Arts de Nantes / FR
2018 Biennial IntoNature , Curated by Hans der Hartog Jager, Frederiksoord / NL
2018 Rapido Rapido , Collection N9, Interior and the Collectors, Noirmoutier / FR
2018Sometimes, however I am called to action by the siren song of the narrative faction , Curated by Furiosa Monaco, Marseille / FR
2018 Norma, Curated by Maud Salembier, Maison Pelgrims, Bruxelles / BE
2018 Aller-Retour, Belsunce Projects, Marseille / FR
2017 Club Andalouse, curated by Marie de Gaulejac, Paris / FR
2017 Back to the peinture, La Station, Nice / FR
2017 Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue / FR
2016 Don’t read books, Chez Neon, Lyon / FR
2016 In & out, Villa du Parc, Annemasse / FR
2016 30 ans déjà, Villa du Parc, Annemasse / FR
2016 Art Ephémère, Marseille / FR
2016 Galerie Praz-Delavallade, Paris / FR
2016 One Thousand Books, Kunsthal Charlottenborg, Copenhague / D
2016 Sequoya Dream, La Galerie, Noisy-le-sec / FR
2015 Problème de type Grec, sur une invitation de Jagna Ciuchta, La Galerie, Noisy-le-sec / FR
2015 My internet…, Galerie Jeanroch Dard, Bruxelles / BE
2014 (IM)MATERIEL, Galerie Jean Fournier, Paris / FR
2014 Le corps invisble, Galerie Edouard Manet, Gennevilliers / FR
2014 Rien de plus tout du moins, sur une invitation de Benoît-Marie Moriceau, Crédac, Ivry-sur-Seine / FR
2014 Art is hope, Palais de Tokyo, Paris / FR
2013 Une nouvelle unité , Les loges de la bastide Saint-Joseph, Marseille / FR
2013 Romantic duo,  Friche Belle de Mai, Marseille / FR
2013 Looking for Vidéo, Galerie Claudine Papillon, Paris / FR
2012 Keep me in suspense, The Central House of Artists, Moscou / RUS
2012 Bauhaus. Entretenir des choses matérielles, Kunstforum, Essen / DE
2012 Désarchitecture, Galerie Gourvennec Ogor, Marseille / FR
2012 Centre Aéré, Galerie de l’ENSAN, Nancy / FR
2011 Inauguration, Galerie Gourvennec Ogor, Marseille / FR
2011 Vigoureuse Affection, A l’atelier, Ivry-Sur-Seine / FR
2011 Ecole alternative bAbA, Paris / FR
2011 Colloque « L’aire du Jeu », INHA, Paris / FR
2011 Grand concours de tableaux monochromes, Galerie Jean Brolly, Paris / FR
2010 Aires de Jeux, Centre d’art Micro Onde, Vélizy-Villacoublay / FR
2010 Ils chantent et ils jouent, les gens entrent, Maison des Arts, Grand Quevilly / FR
2010 Collection Permanente, Mains d’oeuvres, Saint-Ouen / FR
2010 55e Salon de Montrouge / FR
2009 Opération tonnerre, Mains d’oeuvres, Saint-Ouen / FR
2009 Ligne à ligne, Galerie Nationale d’Indonésie, Jakarta
2009 Déminage, MAMAC, Liège / BE
2008 Playtime, Béton Salon, Paris / FR

*Collections publiques 

2020 FRAC PACA / Maseille / FR
2019 CNAP / FR
2019 MAMAC / Nice / FR
2016 Musée des beaux arts de Nantes / FR
2012 FRAC PACA / FR
2011 Conseil Général des Côtes d’Armor / FR
2009 Ville de Montrouge /FR

*Résidences 

2016 Cité internationale des Arts, Paris / FR
2014 Summer Lake, Annecy / FR
2009 Triangle France, Marseille / FR

*Publications

2022 A slow boil, Adrien Vescovi, Nature’s Alchemist, Selvedge issue 102 September, par Anne Laure Camillerri
2022 Pour une écologie de l’abstraction, par Marjolaine Levy, Réseau DDA, AICA France & Art Newspaper France
2021 Revue 02, Autonmne 2021, Adrien Vescovi par Guillaume Lasserre
2020 Les inrockuptibles, 14.09.2020, Des artistes exposent leur singularité “Sur pierres brûlantes”, Ingrid Luquet-Gad
2020 Paris Match, 30.07.2020, Les bouillons artistiques d’Adrien Vescovi, Anaël Pigeat
2019 TL Magazine n°32, Interview par Rachel Moron
2019 Les inrockuptibles, 6.11.2019, Résiste, Ingrid Luquet-Gad
2019 The Drawer, revue de dessin, Volume 17 – Rose
2019 Palais n° 30, Futur, ancien, fugitif, le magazine du Palais de Tokyo
2019 Catalogue 003, 34e Festival International de mode, de photographie et d’accesossoires de mode, Hyères, La Ville Noailles
2019 Madame Figaro, n°1849, Marseille l’art de vibre, Lisa Vignoli
2019 La Marseillaise, Novembre 2019, Adrien Vescovi, Alchimiste de la couleur par Alain Paire
2019 Narthex, « Mnémosyme » : l’infusion du temps, au MAMAC hors-les-murs à Nice par Odile de Loisy
2018 ArtPresse, Les galeries d’art contemporain de la province au monde, par Alain Quemin
2017 Monsieur Météo, Entretiens, Mouvement par Alain Berland
2017 Milly-la-Forêt : les artistes invités au Cyclop célèbrent le hasard, Le Parisien, Cécile Chevalier
2017 Crash Magazine n°79, par Dorothée Dupsuis
2014 Adrien Vescovi : support, surface et Lune, Quotidien de l’Art, par Jullie Portier
2010 A New Dynasty, Catalogue Contemporary Art Magazine, Numéro 3, Isabelle Le Normand

 

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Adrien Vescovi conçoit la peinture comme une expérience alchimique captant la palette et les forces invisibles et souterraines du monde. Son modus operandi axé sur la mémoire et ses défaillances, consiste en des déplacements et des infusions de paysages, (l’artiste utilise la formule de « jus de paysage ») sur des matériaux malléables en fibre textile (toiles de lin, draps). Réalisée à partir de décoctions de végétaux ou de minéraux d’ocres et de terres, la teinture succède à la peinture. Le processus pictural consiste en un épuisement de la couleur par rinçages successifs ou par les multiples transformations météorologiques des toiles offertes aux aléas des impulsions atmosphériques (insolation, pluie, vent, pollution, etc.). Dans une approche à la fois poétique, éco-consciente et romantique, mêlant pratique artisanale, recyclage et une fascination pour l’incommensurabilité de la nature et du temps, l’artiste réalise ses propres couleurs à partir d’un long processus d’infusion d’ocres, de terres et de végétaux provenant de territoires et de géographies variables. Ceux des lieux qu’il habite (ocres du Vaucluse et du Roussillon) et ceux qu’il aimerait parcourir (Terre de Chypre, Terre de Sienne, des ocres du Maroc, du Mexique, du Brésil…).

Sa méthode s’inspire de savoir-faire nécessitant une connaissance quasi scientifique et intuitive de la matière. Son atelier ressemble à un laboratoire de magicien ou d’alchimiste, parsemé de bocaux contenant des cordes dans du liquide, des pigments de couleurs de toutes sortes, tandis que des pans de tissus cuisent dans des marmites géantes et que la machine à laver tourne et presse un jus de couleur. Adrien Vescovi affectionne les procédés lents de révélations : infusion, décantation, insolation, dévoilement, mais aussi ceux du tissage et de la couture. Ses références en peinture s’orientent volontiers vers des travaux d’artistes femmes restées en marge de l’histoire de l’art. Les installations d’Adrien Vescovi se déploient dans l’espace à des échelles importantes dépassant parfois 7 m de haut (comme son installation au Centre de la Vieille Charité à Marseille ou au Palais de Tokyo en 2019), mais elles esquivent toujours l’écueil d’une hégémonie spectaculaire. Plutôt que de s’imposer, l’oeuvre immersive accueille, enveloppe, comme des abris dans lesquels on se glisse, où l’on marche, où l’on s’assoit, ou encore qu’on effeuille comme les pages d’un livre. L’oeuvre semble nous convier à une chorégraphie spatiale et corporelle, un rituel comportemental créant un lien charnel entre la peinture et le spectateur.

La nouvelle série Soleil Blanc, 2021, présentée dans l’exposition du Prix Fondation Pernod Ricard, cultive un jeu de formes astrales, lunaires et solaires, tels des fragments de météores, boursouflés, vulnérables dans des teintes pastelles à partir d’une palette d’ocres douces et poudrées (mais toujours impures). On découvre en effeuillant les multiples couches de tissus (composés de draps brodés) différents réseaux de stratifications, liés à la peinture, à la couleur et leurs origines géologiques, aux formes et contre-formes ainsi qu’à la charge d’une intimité imperceptible contenue dans ces draps. Soleil Blanc n’aura pas subi les altérations des éléments climatiques en extérieur comme dans les travaux précédents de l’artiste. La solarisation a lieu de l’intérieur, comme si le spectre de la lumière blanche du soleil se décomposait et irradiait à partir des pigments de couleurs depuis lesquels le paysage circule. La première présentation de Soleil Blanc à la Friche Belle de Mai en 2020 (avec Triangle France – Astérides), fonctionnait par recouvrement de draps blancs jouant le rôle métaphorique de la lumière blanche du soleil accélérant la transformation de la couleur par insolation et aveuglement. Cette dernière version de Soleil Blanc, 2021, convoque une mémoire confidentielle et fantomatique, une histoire de l’indicible se jouant dans les plis, les interstices, les initiales et les béances d’un espace intime et d’un temps suspendu.

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Adrien Vescovi par Lilou Vidal
22e Prix de la Fondation Ricard

Près de quarante ans après la publication du célèbre ouvrage de science-fiction Le nom du monde est forêt (1) (1972) de l’auteure américaine Ursula K. Le Guin, roman anti-colonialiste et manifeste écologiste racontant la lutte du peuple des Athshéens pour protéger la planète Athshe et son abondant écosystème contre l’invasion des terriens, destructeurs des forêts, dont l’exploitation abusive aura des conséquences dramatiques, les conclusions du rapport du Giec, publiées à l’été 2021 en pleine pandémie mondiale, rend la fable science-fictionnelle de plus en plus réaliste. Dans ce contexte, le paysage artistique international « se sent concerné », à juste titre, par les désordres écologiques et autres questions relatives au vivant et à l’anthropocène. Depuis quelques années, de nombreuses expositions ont fait des enjeux environnementaux et écologiques leur objet : « Exposure : Native art and Political Ecology », « Critical Zones :Observatories for Earthly Politics », « The Coming World : Ecology as The New Politics 2030-2100 », « General Ecology », « Ecologies, a Song for our Planet », « Eco-Visionaries », « Actions for the Earth: Art, Care & Ecology », « Courants verts », « Nous les Arbres », « At the End of the Day »,« Inventing Nature », « Earthkeeping, Earthshaking », « Time of the Earth »… Aussi diverses qu’elles soient, ces expositions, dont on ignore le bilan carbone, ont comme dénominateur commun d’interroger tout à la fois la relation au vivant en faisant leur la pensée de Bruno Latour sur « l’être au monde » et en remettant en question une forme d’anthropocentrisme, de tenter de briser la frontière entre humain et non-humain en pensant une communauté des vivants, ou encore de manifester un combat d’artistes devenus chercheurs et activistes. Construire des cabanes avec des matériaux de récupération, faire du froid avec du chaud, enregistrer la communication des arbres à l’aide de capteurs, ou encore filmer le procès fictif de multinationales responsables du réchauffement climatique, autant de démarches véhiculant un message engagé et témoignant d’une pratique d’un art écologiste.

À l’automne 2021, avant même d’entrer dans La Criée à Rennes, le public de l’exposition« Molusma» (2) d’Elvia Teotski (3) se voyait-il informer par une médiatrice de la présence du non-humain, avec lequel ils se devaient de partager l’espace. Des centaines de criquets jonchaient le sol. Le public déambulait avec toute l’attention nécessaire pour éviter d’écraser un insecte, qui étrangement, dans le white cube, loin de son espace naturel, ne sautait plus. Ceux qui, effrayés par quelques pieds hésitants, n’avaient aucune envie de « faire communauté » avec l’humain, se réfugiaient dans de petites architectures faites de briques produites à partir de la terre et des algues échouées sur le littoral breton dont l’équilibre est menacé par l’élevage intensif de porcs depuis plus de trente ans. Ce sont d’autres briques en terre crue que l’artiste avait fabriquées,jusqu’à s’intoxiquer (4), pour l’installation Des canyons refermés, les collines se forment (2020), à partir de prélèvements de boues rouges effectués sur des crassiers pollués dans la région deMarseille. Tout à la fois avec les méthodes du scientifique et les outils de l’artisan5, Teotski dénonce la toxicité des sols, en mettant la lumière sur la fragilité et la vulnérabilité des écosystèmes, leurs dégradations et leurs mutations.

Parallèlement à cette pratique d’un art résolument écologiste, certains artistes témoignent davantage d’une pratique écologique de l’art. Si cela demeure moins visible que chez Teotski, Adrien Vescovi (6) met tout autant ses mains dans la terre. De 2015 à 2017, l’artiste cueille dans les alpages savoyards plantes et fleurs sauvages (à cette époque il installe son atelier aux Gets, en Haute-Savoie, à 1600 m d’altitude) et collecte désormais les ocres et autres argiles près de Marseille, point de départ de sa peinture. Ce ne sont pas les outils habituels du peintre qui envahissent son atelier mais ceux de l’alchimiste. Près des livres renfermant les recettes tinctoriales gardées secrètes par l’artiste, des bains de décoctions des végétaux collectés font leur oeuvre sur les monumentaux textiles de coton et de lin recyclés. Les eaux récupérées sont chauffées puis refroidies lors d’un long processus de macération permettant d’enrichir la palette chromatique. Tout imprégnés de végétal et de minéral, les draps teintés de chlorophylle et de terre de Sienne vont à nouveau faire l’expérience de la nature. À la manière d’un Edvard Munch qui exposait ses peintures aux intempéries, Vescovi tend les toiles en plein air afin qu’elles enregistrent les traces des variations atmosphériques, du soleil, de la lune ou du vent, avant de les coudre entre elles. Paysage dans le paysage, l’oeuvre offre à la fois une dimension optique et haptique aux éléments naturels et une réflexion sur les problématiques liées à l’univers textile,l’une des industries les plus polluantes qui soient. Les larges toiles de Madras (2018), de Soleil Blanc (2020) ou de Slow Abstraction (2020) célèbrent la forme tout en la dotant d’une dimension transitive et résolument contextuelle : « Je suis quelqu’un de très formel : la forme est ce par quoi le discours en soi se crée. (7)»

Plonger dans la couleur, Nicolas Floc’h (8) en fait le coeur de sa pratique photographique : des dizaines de monochromes bleus, verts ou orangés disposés en grille, devant lesquels un regard hâtif ne verrait qu’énièmes abstractions colorées. Pourtant, à la lumière de leurs titres, ces oeuvres s’éloignent du canon monochromatique. Colonne d’eau, Atlantique, Ouessant (2016), Colonne d’eau, Pacifique, entre Okinawa et Taiwan (2017), Colonne d’eau, Port Miou (2018), Colonne d’eau, – 40 mètres, Pacifique, Shimoda, Japon (2019) : autant de paysages sous-marins,photographiés par l’artiste depuis le début des années 2000, lors de plongées en eaux profondes, que de couleurs, nous donnant à penser qu’il faut arrêter d’associer la mer à la couleur bleue. Ces véritables coupes témoignent des changements biologiques du milieu marin. Ces images à la diversité chromatique exceptionnelle due aux variations de concentration du phytoplancton, des substances organiques dissoutes ou des particules minérales, prises au grand angle et à la lumière naturelle, portent en elles une double lecture, à la fois abstractions des abysses et témoins de la dégradation de la biodiversité sous-marine. En 1969, Bruce Nauman photographiait les ciels pollués de Los Angeles pour en faire des monochromes (LAAir). Quarante ans plus tard, Floc’h explore les profondeurs subaquatiques et obtient à son tourdes aplats colorés révélant les effets chromatiques de la pollution.

Si le formalisme, ce souci de la forme pour elle-même, entend qu’une oeuvre ne parle de rien d’autre que d’elle-même, les oeuvres de Vescovi ou de Floc’h, qui raniment toutes deux le souvenir d’Yves Klein, à la fois « enregistreur d’empreintes atmosphériques sur la toile » et promoteur du monochrome, suggèrent qu’une autre voie est possible, celle qu’on pourrait appeler un « formalisme engagé ».

1 – Ursula K. Le Guin, Le nom du monde est forêt [1972], trad. de l’anglais par H.L. Planchat, Paris, Robert Laffont,coll. Ailleurs et demain, 1979.

2 – « Molusma » en grec, signifie la souillure. Le terme fut proposé dans les années 1960 par le biologiste marin Maurice Fontaine pour désigner l’ère géologique actuelle, marquée par la production des déchets, mais fut délaissé par la suite au profit du mot « anthropocène ».

3 – Elvia Teotski est née en 1983 à Toulouse. Elle vit et travaille à Marseille. L’artiste a une formation en agronomie et en économie du développement rural des régions tropicales.

4 – Après avoir passé plusieurs jours à fabriquer des briques à partir de ces terres polluées, l’artiste a été intoxiquée.

5 – Chaque projet de Teotski nécessite une analyse et une recherche approfondie du contexte environnemental dans lequel il s’inscrit. De Marseille au Mexique en passant par la Bretagne ou la Belgique, l’artiste observe méthodiquement pendant de longues périodes ces territoires et collabore systématiquement avec des activistes et des scientifiques. Après le temps de l’observation, le temps de la manipulation : Teotski met les mains dans la terre, façonne les briques, manipule le sulfate de cuivre (Archéologie future, 2017) ou moule de l’agar-agar (À chaque jour sa surprise, 2018).

6 – Adrien Vescovi est né en 1981 à Thonon-les-Bains. Il vit et travaille à Marseille.

7 – Entretien avec Dorothée Dupuis, « Turn off the Lights », Casa de Francia, Mexico, septembre 2016.

8 – Nicolas Floc’h est né en 1970 à Rennes. Il vit et travaille à Paris.

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Pour une écologie de l’abstraction par Marjolaine Lévy
Art Newspaper France, AICA France

Le soleil joue depuis l’Antiquité un rôle essentiel dans nos imaginaires utopiques, il est la source d’énergie ultime, celle qui transcende les frontières géographiques, capable de guérir notre condition humaine autant que notre environnement.

L’intérêt d’Adrien Vescovi pour le soleil se nourrit d’un dialogue resserré avec la nature, puisqu’il se refuse à la traiter dans une relation maître/esclave et l’envisage davantage comme matériau. Son travail dessine une épistémologie du soleil et du sud, activée par une écologie des processus, des matériaux et des formes.

Le soleil est la composante fondamentale de son ensemble d’œuvres « Soleil Blanc »(1) (2021), nommée ainsi en référence à l’éblouissement provoqué par la réverbération de la lumière sur la neige. En référence directe à la couleur principale constituante du soleil, à savoir le « blanc », les toiles et les installations qui appartiennent à « Soleil Blanc » dévoilent les nombreuses potentialités chromatiques exprimées par la lumière, encourageant le spectateur ou la spectatrice à regarder au-delà de la pureté « blanche » imposée de manière hégémonique dans notre environnement, afin d’apprécier les nombreuses nuances de blanc, ainsi que les traces d’obsolescence laissées par l’action des agents naturels du temps.

Ces œuvres sont le résultat d’un long processus d’expérimentation initié par Vescovi alors qu’il vivait dans la région alpine de Haute Savoie (entre 2015 et 2017). Moment où l’artiste a commencé à employer des éléments atmosphériques et des composants végétaux comme agents principaux de son travail. Vescovi a cueilli des fleurs et des plantes sauvages qu’il a fait macérer dans des bains de décoction, imbibant d’imposants textiles de coton et de lin recyclés. Il a ensuite suspendu ses toiles à l’extérieur de son atelier pour qu’ils s’imprègnent des agents atmosphériques — pluie, neige, rayons du soleil et de la lune, vent— avant de les rassembler.

Les différentes radiations solaires UV A et B, particulièrement puissantes dans les Hautes-Alpes mais invisibles à l’œil nu, sont rendues palpables sur les toiles, mettant en évidence le rôle immersif et actif de la lumière autant que de l’environnement naturel. L’artiste partage la paternité de l’œuvre avec les éléments naturels tout en accompagnant le textile dans son état transitoire. La nature n’est pas quelque chose d’extérieur à la toile ni un sujet qu’il s’agirait de dépeindre de manière passive — elle joue au contraire un rôle actif dans le processus.

Le temps est un autre agent fondamental dans l’écologie de la pratique d’Adrien Vescovi. L’artiste invite le temps à agir sur ses toiles à la manière de l’acide qui mord une plaque gravée. L’inscription du temps sur le tissu se matérialise par des traces laissées dans la fibre et dans la peinture. Ce faisant, il inscrit l’œuvre dans le temps de la nature, prêtant attention aux multiples acceptions temporelles.

Dans les œuvres réalisées après son installation à Marseille, la technique employée passe des pigments végétaux aux pigments minéraux : ocre et terres recueillies sur le sol du Vaucluse, du Roussillon ou de la Bourgogne, sans oublier l’Italie, Chypre et le Maroc, pénètrent le textile d’une teinte méditerranéenne. Vescovi imprègne ses textiles de géologie temporelle en teignant chaque section avec des pigments collectés dans différents endroits, chacun représentant une couche simultanément lyrique et géologique.

Le textile s’apparente à un cyanotype absorbant le paysage et la terre entre ses fibres. Ce processus se rapproche de celui du support photographique comme dispositif d’enregistrement. À l’opposé de la notion de « site spécifique », l’œuvre porte en elle la spécificité du lieu où elle a été créée. Cette forme picturale « atmosphérique » autorise les toiles à absorber leur contexte environnemental. En ce sens, l’art de Vescovi, bien qu’abstrait, s’avère néanmoins hautement représentatif.

Le souvenir de la lumière est probablement la première chose que l’on rencontre au réveil d’une période d’amnésie. Le réveil d’un état comatique, après un accident subit en 2012, a constitué un point de départ majeur dans le développement de l’œuvre de l’artiste et à marqué son intérêt pour la matérialité mémorielle. À travers son travail, l’empreinte des souvenirs du paysage, les mémoires climatiques et les récits de l’anthropocène s’entremêlent, soulevant des questions qui portent sur notre héritage matériel et environnemental.

La technique de teinture qu’il emploie pour « peindre » sur ses toiles est ancestrale. Une substance est déposée dans une casserole d’eau chauffée afin d’extraire les composés de la teinture dans une solution diluée à l’eau. Vescovi recueille l’eau, la chauffe puis la refroidit au cours d’un processus long de trempage qui génère une palette de couleurs imprévisible. Les textiles à teindre sont ensuite placés dans la marmite et maintenus à feu doux jusqu’à obtention de la couleur souhaitée. L’eau est le plus souvent réutilisée afin de produire de nouvelles œuvres.

Alors que l’industrie textile génère un cinquième de la pollution industrielle mondiale par l’emploi de produits chimiques, le travail de Vescovi, comme l’affirme la philosophe Bernadette Bensaude-Vincent (2), peut être considéré comme une sorte de « chimie douce », travaillant à température et pression ambiantes et impliquant des processus lents de régénération. Les couleurs s’imprègnent profondément dans les fibres textiles des vieux draps de lit recyclés, riches en broderie et en histoire, imprégnant le matériau de la mémoire des lieux.

Loin d’être explicitement discursif — mais visant plutôt à tresser intimement intériorité et extériorité— le travail d’Adrien Vescovi articule un discours primordial. Un discours concernant l’écologie, compris selon les termes d’Isabelle Stengers, comme une manière de déterminer la question de l’habitat, du contexte dans lequel vous entreprenez votre travail, et des habitudes qui circonscrivent vos méthodologies (3). Son œuvre incarne et redéploye l’influence des cultures méridionales et populaires : leurs mythes, leurs rituels magiques, leurs traditions, leur réalité économique et leur artisanat.

Avec patience et soin, il transforme et recycle d’humbles matériaux en compositions d’une extraordinaire et opulente beauté. Ses textiles occupent audacieusement l’espace, le scindent, l’interrompent et dialoguent avec lui de manière sculpturale et mobile. Ils constituent une invitation animée faite aux corps et aux sens. Souvent traités horizontalement au sol, les textiles, une fois redressés, forment un paysage qui mobilise la plasticité du tissu ainsi que les potentialités de la Toile Libre pour créer une abstraction douce qui modifie notre perception architecturale.

Ses espaces picturaux et ses installations immersives nous absorbent de manière participative. Qu’ils soient physiques, esthétiques, transcendantaux ou même religieux, ils constituent toujours un espace expérientiel. Certaines œuvres sont installées à proximité les unes des autres, tandis que d’autres reposent sur des supports individuels ou sont étendues au sol. Plutôt que des toiles séparées, nous pourrions les considérer comme des couches géologiques ou des sédiments. Mais également comme une sorte d’espace narratif fait de montages qui se développent à partir d’une même grille de découpe. Pour l’artiste, la grille agit à la fois comme motif et comme support. Elle tient lieu de catalyseur processuel, prétexte à la cristallisation des formes et des matériaux engagés.

La recherche développée par Vescovi autour des dimensions spatiales, sensorielles et temporelles des formes s’enracine dans l’inspiration qu’il tire d’artistes ayant redéfini le lien entre peinture, sculpture et performance, à l’instar de Franz Erhard Walther. Mais il entretient tout autant une dette envers les paysages picturaux d’Etel Adnan et ceux conçus par Roberto Burle Marx. Vescovi s’est rendu en 2018 dans les parcs modernistes du Brésil, composés de formes, de couleurs et de spécimens indigènes à forte charge sensuelle.

L’artiste a ensuite commencé à dessiner des formes avec du textile, comme dans la série « Land » (de 2019 jusqu’à aujourd’hui), où des couches de territoires sont représentées non seulement par l’intermédiaire d’une palette de couleurs terreuses créées en employant des pigments minéraux, mais aussi par différentes strates textiles soigneusement délimitées. Les œuvres de Vescovi donnent sens à la potentialité constructive et déconstructive de la toile et insuffle la vie à des paysages tactiles conçus comme des dispositifs mnémotechniques.

  1. Le titre de cette série est également celui de son exposition qui s’est tenue au Centre d’Art du Grand Café de Saint-Nazaire en 2021.
  2. Entretien d’Adrien Vescovi avec Bernadette Bensaude-Vincent, Fondation Thalie, 11 février 2022.

  3. Isabelle Stengers, « Introductory notes of an ecology of practices », Cultural Studies Review 11, n°1, 2005.

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Poétique Solaire, Écologie de la pratique dans l’œuvre d’Adrien Vescovi
par Silivia Franceschini

« Il y a quelques mois, par exemple », écrit Yves Klein en 1961 dans son Manifeste de l’hôtel Chelsea, « je ressentis l’urgence d’enregistrer les signes du comportement atmosphérique en recevant sur une toile les traces instantanées des averses du printemps, des vents du sud et des éclairs. (Est-il besoin de préciser que cette dernière tentative se solda par une catastrophe ?) Par exemple, un voyage de Paris à Nice aurait été une perte de temps si je ne l’avais pas mis à profit pour faire un enregistrement du vent. Je plaçai une toile, fraîchement enduite de peinture, sur le toit de ma blanche Citroën. Et tandis que j’avalais la nationale à cent kilomètres à l’heure, la chaleur, le froid, la lumière, le vent et la pluie firent en sorte que ma toile se trouva prématurément vieillie ». « Après tout », conclut-il, « mon but est d’extraire et d’obtenir la trace de l’immédiat dans les objets naturels, quelle qu’en soit l’incidence, que les circonstances en soient humaines, animales, végétales ou atmosphériques. »

En faisant le voyage, au début de l’été 2019, de Marseille à Nice pour aller au vernissage de l’exposition d’Adrien Vescovi à la galerie des Ponchettes, je pensais aux déplacements que ce dernier a régulièrement fait avec ses toiles roulées entre Paris et la Savoie, puis entre Paris et Marseille, et à ses grandes toiles à présent tendues face à la mer sur la Promenade des Anglais, exposées au vent et au soleil pour plusieurs mois, et à la formule d’Adrien que ses peintures ont pour fonction « d’enregistrer le paysage ». La peinture d’Adrien Vescovi est en effet une curieuse cuisine. Peintre sans rouleau ni pinceau, il cuit ses toiles dans des bains de décoction de plantes qu’il a récoltées au début dans les alpages savoyards avant de les tendre au vent et aux intempéries. « Penser le faire comme la confluence de forces et de matières, et non plus latéralement, comme la transposition d’une image sur un objet, c’est concevoir la génération de la forme, ou la morphogenèse, comme un processus », écrit l’anthropologue Tim Ingold. « Cela permet d’atténuer la distinction qui peut être faite entre organisme et artefact. » Les peintures de Vescovi, techniquement davantage teintures que peintures, sont donc le produit de différentes forces atmosphériques qui sont parties prenantes du processus mis en place par l’artiste. Un processus où la toile « charge » le paysage, ou plutôt se charge du paysage dans lequel elle est inscrite, dans une temporalité qui échappe partiellement à celle du « faire » et le partage avec un « laisser faire ». On pense alors à l’artiste Vivian Suter qui, après une tempête qui avait ravagé son atelier dans la jungle guatémaltèque et fouetté les toiles qui y étaient stockées de pluie, de terre, de feuilles, décida par la suite de laisser ses peintures à l’air libre et d’utiliser pour peindre ce que le paysage mettait à sa disposition de jus d’herbes, de fleurs et de plantes. Inclure l’aléa plutôt que de le combattre ou de s’en protéger. Les infusions de plantes dans lesquelles les toiles de Vescovi ont trempé et bouilli sont un bain révélateur, non pas dans l’obscurité du laboratoire photographique mais en plein air, où les toiles sont littéralement exposées, voire surexposées à la lumière qui va en accélérer le dévoilement. Insolation. Par association d’idées, je pense aux insolations de tissus pliés par Katinka Bock qu’elle laisse exposés à la lumière du soleil sur le toit des musées dans lesquels elle expose. Des processus qui ne minimisent pas la main de l’artiste, comme je l’écrivais dans un texte consacré au travail de Bock, mais inscrivent des formes dans des temporalités qui lui échappent, rééquilibrant des forces entre celles de l’humain et de l’atmosphérique.

Les notions de révélation et de dévoilement agencent une phénoménologie matérialiste avec une forme inattendue de spiritualisme. La façon qu’a Adrien Vescovi de déployer ses toiles, cousues de façon à composer de larges pans colorés suspendus parfois superposés les uns aux autres, constitue un dispositif d’un étrange hiératisme. Est-ce dû au fait qu’outre la toile de coton, il utilise également comme support des draps de lit brodés et filigranés, morceaux de linge d’un autre temps évoquant des pans de chasubles ? Dans la galerie des Ponchettes, disposés comme dans une nef en larges lés de tissu libre en suspension entre lesquels le public circule, tandis que des bocaux remplis des décoctions colorées au sol dépassent des cordes qui courent le long des murs, se dégage l’impression d’un dispositif rituel voire liturgique, qui n’a néanmoins rien de confessionnel. On pense davantage aux Parangolés d’Helio Oiticica sur les plages de Rio de Janeiro, ou aux formations murales de toile colorée de Franz Erhard Walther que Vescovi a croisé régulièrement lors de ses visites au Mamco pendant ses années d’études. Autant de manières de rendre la peinture expérientielle, de lier de manière subsidiaire le corps vivant, en mouvement, avec la couleur, de produire un dépli, une extension du rapport frontal au tableau pour produire un environnement plus immersif dans la surface colorée, ce que confirme l’installation de Vescovi au Palais de Tokyo, où l’assemblage de toiles de plus de 5 mètres de hauteur suspendue forme une vaste tente que l’on peut traverser. Cette sorte d’abri défait la sensation de monumentalité, et comme pour les œuvres de Walther qu’un critique compara à des « géants endormis », on conférera à leur gigantisme et au silence que celui suscite une propension métaphysique et méditative plutôt qu’une forme de domination provoquant le saisissement. Le repli de la toile, créant abri, propose une immersion, une absorption, qui déjoue toute agressivité de la monumentalité.

La couleur chez Vescovi est impure, ni vive ni franche. Cette phrase est néanmoins probablement une assertion nécessitant d’être nuancée et révisée, car la dernière œuvre de Vescovi au Palais de Tokyo affiche des couleurs plus éclatantes qu’auparavant, qui évoquent étrangement les couleurs des paysages stratifiés des tableaux de Georgia O’Keeffe : couleurs de ciels, de déserts, de fleurs, en couches plus découpées qu’à l’ordinaire. Toutefois, les nuances de couleurs, dues à l’aspect expérimental des processus de Vescovi, sont généralement délavées, tachées, marbrées de manière à ne jamais se présenter comme des abstractions. Elles Elles inscrivent les toiles dans une temporalité, et renvoient dès lors à l’humain, à son impureté, à sa finitude et sa vulnérabilité. ».

Il en va de même pour les toiles qu’Adrien Vescovi présente enroulées autour de barres d’acier dont la rouille bientôt pénètre et envahit le tissu. La référence à un antique manuscrit est difficilement évitable, mais c’est avant tout à l’invisible processus d’oxydation qui se prolonge imperceptiblement que Vescovi s’intéresse. Lorsqu’aux abords du Cyclop dans la forêt de Milly près de Fontainebleau, il dispose des toiles de coton blanc au sol, posées sur des rails d’acier, maintenues par des rondins de bois et des barres de fer, rapidement gonflées d’eau et couvertes de feuilles, il s’agit d’obtenir la trace de l’immédiat, la corruption des toiles immaculées par le temps et la météorologie, autre agencement entre monumentalité et vulnérabilité.

François Piron, octobre 2019

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Adrien Vescovi par François Piron
Réseau documents d’artistes, décembre 2019

Protagoniste principal du règne végétal, la chlorophylle à pour origine l’absorption des composants rouge et bleu de la lumière qu’elle transforme en énergie vitale. Elle est d’ailleurs la seule a pouvoir – non sans une certaine dose de magie – transformer la banale rencontre d’un cyan et d’un magenta en vert menthe à l’eau. Cet élément naturel est aujourd’hui l’un des ingrédients principaux des mélanges, décoctions et autres mix-peintures d’Adrien Vescovi. Par un procédé se rapprochant de celui de la teinture, il développe les principes actifs d’une substance en portant un liquide à ébullition et entreprend ensuite la colorisation progressive de ses toiles.

Ces tissus ont la particularité d’être libres de structures puisque leur châssis s’est fait la malle et réapparaît parfois sous une autre forme : assise improvisée pour spectateurs, sommier janséniste ou encore tablette pour mélanges de pigments colorés. Déclassant ainsi un simple cadre venant soustraire la peinture à ce plan minimal plus ou moins confortable sur lequel nous serons amenés à méditer, observer et apprécier un paysage dessalé. À l’instar de la révolution incarnée par l’apparition des pigments en tubes utilisée par les peintres liés  à Impression, soleil levant 1  l’artiste démantèle lui aussi la surface et le support de la peinture en déplaçant son atelier d’une simple et banale appré- hension orchestrée à la verticale vers  une nouvelle horizontalité. En effet, cette dérive  touche non seulement le sujet même de sa peinture mais égale- ment le lieu de son apparition. Ainsi,  il construit chacun de ses ateliers en porosité avec la vallée,”“le jardin tout comme la rue, la ville, sa périphérie, de jour comme de nuit. Loin des embarcations d’Argenteuil, majestueuses cathédrales et diverses joies liées au parcours des contrées normandes, il“en résulte tout de même un intérêt commun pour

la fidèle restitution d’une luminosité évoquant une certaine météorologie des sentiments. De fait, la perception de ces changements climatiques orchestrent l’essence de sa peinture qu’elle soit temporairement installée sur un toit du passage des Cloys, une station de ski proche du territoire helvétique ou encore en pleine rue lors de sa résidence à la galerie de Noisy-le-Sec. Les peintures d’Adrien Vescovi sont des fenêtres soumises aux variations du ciel, ce sont donc très naturellement les rayonnements diurnes ou crépusculaires entre ultraviolet et infrarouge qui s’imposent aujourd’hui comme impressions. Elles sont ensuite composées et associées les unes aux autres. Symbole de ce nomadisme constant, elles se manifestent sous forme de scènes claires, vivement colorées ou tie & dye, transportées, accrochées et parfois même abandonnées. Leur forme la plus récente reprend celle d’une suspension ou d’un hamac : lit temporaire, symbole d’oisiveté mais aussi véritable invitation à une sieste à l’abri des regards. Ce lit de fortune permet au dormeur de s’isoler sans pour autant l’extraire du contexte même de l’exposition. Quoi de plus beau que de se laisser littéralement enlacer par la peinture !

Ce sleeping bag suspendu n’est pas sans rappeler les panoramas et autres environnements picturaux restituant des champs de couleur à perte de vue ou encore un certain jardin de Giverny – seul élément notable de la visite de la villégiature de Monet en banlieue parisienne. Il nous suggère également que cet habitacle éphémère pourrait être le fruit d’un isolement insulaire. Ou le plaisir de la solitude, de la vie et des aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé, un marin qui vécut 28 ans sur une île déserte de la côte de l’Amérique.

1. Impression, soleil levant, Claude Monet, 1872, huile sur toile, 48 x 63 cm.

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La Forêt à perdre la raison par Arlène Berceliot Courtin
Les ateliers d’artistes de la Ville de Marseille, mai 2016

Adrien Vescovi est un artiste français basé entre Paris et les Gets, Haute Savoie. Il développe depuis quelque années une pratique croisant problématiques de peinture et travail textile artisanal au sein d’oeuvres souvent monumentales, questionnant le format du tableau ainsi que notre relation au paysage et à l’idée d’abstraction. Pour la galerie de la Casa de Francia, il propose une installation en deux parties. Cinq “tableaux” de grande taille réalisés à partir de tissus travaillés par le soleil, la pluie et des décoctions de plantes locales dans son atelier de Savoie, côtoient une installation in situ dans les bassins en face de la galerie où des tissus sont mis à travailler, le temps de l’exposition, dans un jus de plantes et pigments locaux. L’exposition terminée, ils repartiront en France pour être inclus dans des oeuvres futures de l’artiste, “chargés” du climat et des paysages de Mexico.

Entretien entre Adrien Vescovi et Dorothée Dupuis, Mexico City, 16 septembre 2016

Tu es sorti diplômé des Beaux-Arts d’Annecy en 2006. Nous nous sommes rencontrés alors que j’étais directrice du programme de résidence Triangle France à Marseille en 2010. A cette époque tu faisais encore beaucoup de vidéo, de performance, d’installation, de dessin. La peinture n’était pas prépondérante dans ton travail. Est ce qu’on peut parler d’un tournant dans ta pratique, et quand le situerais-tu ?

Il y a eu un effet accélérateur dans mon travail à partir du moment où j’ai commencé à travailler le tissu. Mais les questionnements étaient déjà là, ils se sont juste installés et définis progressivement. Par exemple, dans certaines choses que je fais aujourd’hui je retrouve des manipulations que j’avais faites étudiant : je vidéo-projetais des objets sur des toiles, la forme n’était pas reconnaissable, et je la peignais en noir et blanc, assez brut : cette question de la lumière, de l’abstraction, j’ai toujours été intéressé par ça. Aussi, quand on s’est rencontrés à Triangle, je dessinais les “Aires de Jeu” (Vanishing point, 2010). Ca partait d’un truc fonctionnaliste, bien défini, et puis le dessin dérivait complètement. La peinture c’était toujours quelque chose que je regardais, même si je l’avais mis de côté. En 2012, j’airepéré une façade de magasin en travaux, il avaient mis un grand tissu pour masquer la façade, qui s’est chargé au fur et à mesure de poussière, de saleté, de graffitis… les premières pièces textiles me sont venues de là.

Ce que je trouve excitant c’est que tu sembles avoir trouvé un protocole de travail – tu dis une “forme” – où tu es à l’aise, qui te permet d’être fluide dans ta production : et c’est quelque chose qui me semble indispensable à toute pratique artistique réussie, quelle qu’en soit le medium ou le sujet. En restreignant ta pratique à certaines questions spécifiques – tu as parlé de “questions de peintre” – de couleur, d’effets de composition, de format, de facture, tu inscris ta pratique dans une certaine histoire de l’art occidental et dans certaines discussions qui permettent d’évoquer la pratique avec précision. Daniel Dewar propose le terme “postminimal” pour définir les pratiques tentant de questionner – et dépasser – la relation à l’objet d’art et à sa production proposée par le minimalisme dans les années 60 et 70. Le minimalisme a étendu les questions de l’espace pictural à l’espace en trois dimensions, introduisant une lecture moderne de l’objet en rapport aux moyens de production de l’époque, exposant par ricochet certaines problématiques sociales liées à ces modes de production : notamment la relation de l’art à l’idée d’artisanat, de savoir-faire. Comment rattaches-tu ta pratique à ces questions ?

Je suis quelqu’un de très formel : la forme est ce par quoi le discours en soi se crée. C’est ce qui m’intéresse dans le travail d’un artiste comme Reto Pulfer par exemple. Le travail c’est le processus, car souvent au final il ne reste quasiment rien, que des traces. Au début mes tissus étaient bruts. Un jour j’ai laissé deux grandes toiles en dehors de l’atelier que j’avais alors à Paris et ils se sont décolorés, créant un motif naturellement, lentement. Après plusieurs séries de pièces réalisées à Paris (Through, Twin Bubble Gum, Grey Memory, 2013/14), j’ai alors décidé d’occuper l’ancien atelier de menuiserie de mon grand père dans les Alpes pour le soleil, parce que les UVs sont plus puissants, le processus est accéléré. Lors de ma deuxième session de travail là bas, c’était l’automne : les arbres étaient jaunes, rouges, orange : c’était magnifique. Cela faisait longtemps que je n’avais pas passé l’automne à la montagne. C’est comme ça que j’ai commencé les décoctions : comme une idée super simple de faire des “jus” de ce paysage. Pour l’instant ça donne un marron générique : c’est un geste conceptuel, une idée, même si j’essaye d’élaborer des couleurs tout doucement. Je m’intéresse aussi progressivement à des couleurs naturelles produites ailleurs – je planifie d’aller en Inde prochainement – où aux possibilités offertes par certains minéraux, notamment en relation au paysage désertique qui est bien sûr une référence, notamment en relation avec l’histoire de l’art américaine des années 60/70 dont tu parlais avant.

Tu parlais de mystique tout à l’heure : tu n’es pas donc pas opposé à la notion d’absolu, de spiritualité dans l’art, ou dans la peinture. Si on considère comme je l’évoquais avant, que beaucoup de pratiques de nos jours cherchent à rejouer certains gestes issus de l’histoire de l’art moderne occidental, et en appellent à la peinture comme le symbole d’un pré-état de la représentation des choses, quelque chose de primitif à opposer à des courants artistiques comme les pratiques relationnelles, ou alors celles liées aux nouvelles technologies comme le Post-Internet, en revanche il me semble qu’elles le font souvent de façon trop citationnelle, il s’agit d’une recherche à la fois héroïque mais aussi très conservatrice, nostalgique. Dans ton travail je vois quelque chose de l’ordre du mythe de Sisyphe qui te permet de te détacher de ça en installant une certaine poétique – et même si je me méfie beaucoup de ce concept fourre-tout qu’est la poésie – car beaucoup de tes gestes sont inutiles plastiquement, ils ne se voient pas.

Je me le répète à chaque fois ! Je suis à l’atelier et je fais des gestes qui me prennent des heures, et souvent je ne sais pas quel geste produit telle forme, ou telle couleur : j’aime bien ce flou là, même si je commence à mieux maîtriser les procédés, savoir quand cela va faire quelque chose ou rien du tout. L’idée c’est de mettre en ordre une certaine maîtrise qui puisse t’emmener dans la surprise, par répétition, déplacement, par décalage : c’est important ces notions, c’est Deleuze qui en parle dans “Différence et répétition”. On en revient à cette idée de la grille dont parle Rosalind Krauss, la grille du tableau, sauf que moi je le fais en direct sur la façade de l’atelier, de façon irrégulière. Je n’ai pas envie de donner de “signes” reconnaissables, pas envie de raconter des histoires. Je travaille par déconstruction des motifs, ce qui selon moi génère le sens du travail lui-même.

C’est important la technique pour toi ?

Je ne sais pas. Il faut que ce soit un peu maîtrisé. J’essaye de faire bien les choses, je m’applique. Je dois être très méthodique, j’ai besoin que l’espace de l’atelier soit pensé, tous les jours je range, plutôt le matin, c’est un moyen de me concentrer, de rentrer dans une sorte de méditation, de transe.
La méditation c’est la machine à coudre : tu fais des longueurs de 7m, le son de la machine est hypnotique. J’ai des problèmes de concentration, sans doute liés à un accident de snowboard que j’ai eu à 23 ans, quand j’étais encore à l’école d’art : je suis resté 24h dans le coma. En étudiant les troubles de la mémoire, je me suis rendu compte qu’on était plein à avoir ces troubles là, qu’ils sont aussi créés par la vie moderne : et le travail c’est aussi une façon de parler de ça, toutes ces histoires de traces, ces tissus qui se chargent et se déchargent d’information dont on ne voit parfois plus rien au final. Ma méthode ce sont des gestes à la rigueur parfois absurde mais qui sont comme une façon de ne pas perdre le fil.

Tu évoques la façon dont ton expérience personnelle, celle d’un accident très grave, infuse ta pratique pourtant très formelle, abstraite. C’est intéressant de voir comment actuellement les recherches plastiques issues du modernisme sont informées par l’apport des “Identity Politics” des années 60/70 dans l’art notamment conceptuel, qui traditionnellement cherchait à s’émanciper des questions sur le medium.

Oui, la peinture c’est sans doute toujours un peu un reflet personnel : c’est une surface, un rapport au miroir. Peut être je dis une bêtise, mais pour ma part c’est évident qu’il y a là quand même une tentative de se définir comme individu à travers une production. Mais dans mon cas ça se joue plus, je pense, par rapport à une politique vécue des objets, qui intervient à l’atelier de façon pragmatique. Je cherche aussi à interagir avec des situations, des bâtiments, des intérieurs : un rapport au design, à l’objet, qui me vient de mes parents, qui sont distributeurs de design industriel. Par rapport à cette fonctionnalité, je recherche paradoxalement dans des gestes et des matériaux simples, humbles, un rapport au spectaculaire, qui passe notamment par la relation au corps. Je peux parfois manipuler plus de 100m de tissu pour une pièce – comme récemment un rideau obstruant l’entrée de la Villa du Parc à Annemasse (Chunking, 2016). Dans cette pièce on se rend alors plus compte de cette monumentalité, de ces gestes intenses, du rapport au format. A Rezé je me confrontais à un bâtiment imposant, construit par Massimiliano Fuksas dans les années 90, fait d’IPN noirs, avec des murs inclinés : j’ai alors proposé de juste déposer les tableaux sur la structure (Amnesia, 2015, Tripode, Nantes), c’est la contraire, un geste hyper léger, simple. Les installations sont le moment des prises de décision quand la première partie, le travail sur les tissus, est le moment du doute, puisque je ne sais jamais ce que les colorations vont donner. C’est ma façon d’apprivoiser le hasard.

TURN OFF THE LIGHTS

Curatrice : Dorothée Dupuis

Galerie de la Casa de Francia, IFAL Mexico

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Entretien avec Dorothée Dupuis, Mexico City, 16 septembre 2016

Salut Adrien,

Je t’écris de mon lit. J’aime bien écrire le soir, l’ordi sur les genoux, ça change pas mal de la manière dont j’écris assise à mon bureau dans la journée où je suis toujours disponible à répondre aux autres, toujours très disposée à fractionner mon temps et à ouvrir toujours plus de fenêtres sur mon écran. Surtout, je n’ai pas de wifi dans mon lit, donc pas de ressource, pas de distraction… Et je suis assez fatiguée comme après une de ces journées bien morcelées. Alors j’écris dans cet état-là, avec ce besoin de m’étendre et de penser à une seule chose simple, un peu longtemps, vaguement. C’est sans doute un bon état pour écrire sur (un peu comme si c’était depuis) ces hamacs que tu as créés pour ce festival du livre d’art à Copenhague, en réponse à une commande de Theophile’s Paper d’un mobilier destiné à présenter ses éditions.

C’est sûr, je ne suis pas la seule à n’avoir que des bons souvenirs de hamacs et de livres et de jardins : ombres, chaleur, été, siestes, balancements, feuilletage plus que lecture, une solitude heureuse, suspendue au dessus du sol… Lire dans un hamac, dans un festival du livre d’art où les sources d’information dépassent largement la capacité d’attention d’un être humain, j’imagine que c’est une sensation bien différente. Proposer de s’installer dans ces formes souples, c’est peut être une invitation à accepter de ne pas tout voir, ni tout lire, c’est peut-être même faire de cette partialité une sorte de privilège, en invitant à se retirer, à se cacher en plein milieu de cette situation dense et débordante. Ces longues bandes de tissus cousues entre elles à grosse couture et accrochées à leurs extrémités se substituent aux meubles solides, plus fonctionnels et adaptés pour présenter des livres, faisant vriller les plans d’une table, d’une assise, d’une étagère dans les plis de formes souples et enveloppantes.

Un livre est aussi un objet relié dont la couverture ou les pages ouvertes cachent ce qu’il y a dedans, avant ou après. Vu depuis mon lit, et c’est peut être aussi le cas depuis un hamac, le hamac et le livre semblent assez similaires dans leurs structures pliées, dans leurs jeux d’exposition et de disparition, et par cette proximité, ces deux formes semblent être accueillantes l’une envers l’autre.

En fait, cette détente que je ressens et que j’imagine a déjà commencée bien avant cette rencontre d’un lit, d’un ordi et d’une chambre ou d’un hamac, d’un livre et d’un festival. C’est d’abord la détente que tu as fait subir au matériau lui-même car les tissus de ces hamacs sont en fait des toiles relaxées au double sens du terme : elles sont à la fois délivrées et relâchées. Elles ont échappé au châssis sur lequel elles étaient destinées à être tendues. Elles sont donc passées d’un projet de tableaux à l’objet d’une expérience physique d’un tableau plissé, d’une structure porteuse plane à un enchevêtrement de tissus juste suspendus à deux bouts. C’est un tableau qui à la fin, ne se laissera jamais voir en entier, à plus ou moins grand distance, parce qu’il peut annuler cette distance de l’observation pour envelopper son regardeur et le cacher aussi. Tu as fabriqué ces toiles à Noisy-le-Sec, dans la résidence du centre d’art où je travaille le jour surtout. C’est là que tu as cousu différentes bandes de tissus de couleurs pastel, roses, jaunes, bleues. Cette photo que tu as prise des tours d’habitation dans une lumière de fin d’après midi aux alentours de la résidence faisait écho à cette composition horizontale et à ses couleurs. Puis plongées dans une décoction dont tu as le secret, avec des feuilles ramassées dans des platesbandes, elles prenaient tout à coup, une dimension très locale. Il fallait que ce projet se métamorphose avec ce voyage à Copenhague pour devenir fonctionnel : de compositions horizontales, ces toiles se sont plissées, libérées de toute structure porteuse, pour remplir la fonction d’objets assez simples et accueillants, des formes au repos.

Bonne nuit et à demain,

Émilie

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Émilie Renard, 2016